Expédition en Amérique du Sud
Humboldt était convaincu que son véritable objectif dans la vie était l’exploration scientifique et, en 1797, il démissionna de son poste pour acquérir avec une grande détermination une connaissance approfondie des systèmes de mesures géodésiques, météorologiques et géomagnétiques. Les bouleversements politiques provoqués par les guerres napoléoniennes empêchèrent la réalisation de plusieurs expéditions scientifiques auxquelles Humboldt avait eu l’occasion de participer. Enfin, découragé par ses déceptions mais refusant d’être dissuadé de son dessein, il obtint du gouvernement espagnol la permission de visiter les colonies espagnoles d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud. Ces colonies n’étaient alors accessibles qu’aux fonctionnaires espagnols et à la mission catholique romaine. Complètement coupés du monde extérieur, ils offraient d’énormes possibilités à un explorateur scientifique. La position sociale de Humboldt lui assura l’accès aux cercles officiels et, dans le Premier ministre espagnol Mariano de Urquijo, il trouva un homme éclairé qui soutint sa demande d’autorisation royale auprès du roi. À l’été 1799, il appareille de Marseille accompagné du botaniste français Aimé Bonpland, qu’il avait rencontré à Paris, alors le centre scientifique le plus animé d’Europe. La succession dont il avait hérité à la mort de sa mère permit à Humboldt de financer l’expédition entièrement de sa poche. Humboldt et Bonpland ont passé cinq ans, de 1799 à 1804, en Amérique centrale et en Amérique du Sud, parcourant plus de 6 000 miles (9 650 km) à pied, à cheval et en canoës. C’était une vie de grand effort physique et de privation grave.
Au départ de Caracas, ils ont voyagé vers le sud à travers des prairies et des garrigues jusqu’aux rives de l’Apure, un affluent de l’Orénoque. Ils continuèrent leur voyage sur le fleuve en canoë jusqu’à l’Orénoque. En suivant son cours et celui du Casiquiare, ils ont prouvé que le fleuve Casiquiare formait un lien entre les vastes systèmes fluviaux de l’Amazone et de l’Orénoque. Pendant trois mois, Humboldt et Bonpland ont traversé des forêts tropicales denses, tourmentées par des nuages de moustiques et étouffées par la chaleur humide. Leurs provisions furent bientôt détruites par les insectes et la pluie ; le manque de nourriture les poussa finalement à subsister grâce aux fèves de cacao sauvages et à l’eau des rivières. Pourtant, les deux voyageurs, stimulés par l’excitation procurée par les impressions nouvelles et accablantes, sont restés en bonne santé et dans le meilleur des esprits jusqu’à leur retour à la civilisation, lorsqu’ils ont succombé à un violent accès de fièvre.
Après un court séjour à Cuba, Humboldt et Bonpland retournent en Amérique du Sud pour une exploration approfondie des Andes. De Bogotá à Trujillo, au Pérou, ils ont déambulé sur les hauts plateaux andins — suivant un itinéraire désormais parcouru par la Route panaméricaine, à leur époque une série de sentiers escarpés, rocheux et souvent très étroits. Ils ont gravi un certain nombre de sommets, y compris tous les volcans des environs de Quito, en Équateur; L’ascension du Chimborazo par Humboldt (20 702 pieds) à une hauteur de 19 286 pieds (5 878 mètres), mais à moins du sommet, est restée un record mondial d’escalade pendant près de 30 ans. Toutes ces réalisations ont été réalisées sans l’aide d’équipements d’alpinisme modernes, sans cordes, crampons ou réserves d’oxygène; Humboldt et Bonpland ont donc gravement souffert du mal des montagnes. Mais Humboldt a tourné son inconfort à l’avantage: il est devenu la première personne à attribuer le mal des montagnes au manque d’oxygène dans l’air raréfié des grandes hauteurs. Il a également étudié le courant océanique au large de la côte ouest de l’Amérique du Sud qui portait à l’origine son nom mais est maintenant connu sous le nom de courant du Pérou. Lorsque le couple est arrivé, usé et à pied, à Quito, Humboldt, alpiniste expérimenté et infatigable collectionneur de données scientifiques, n’a eu aucune difficulté à assumer le rôle de courtisan et d’homme du monde lorsqu’il a été reçu par le vice-roi et les dirigeants de la société espagnole.
Au printemps 1803, les deux voyageurs partirent de Guayaquil pour Acapulco, au Mexique, où ils passèrent la dernière année de leur expédition à étudier de près cette partie la plus développée et la plus civilisée des colonies espagnoles. Après un court séjour aux États-Unis, où Humboldt a été reçu par le Pres des États-Unis. Thomas Jefferson, ils ont navigué pour la France.
Humboldt et Bonpland sont revenus avec une immense quantité d’informations. En plus d’une vaste collection de nouvelles plantes, il y avait des déterminations des longitudes et des latitudes, des mesures des composantes du champ géomagnétique terrestre et des observations quotidiennes des températures et de la pression barométrique, ainsi que des données statistiques sur les conditions sociales et économiques du Mexique. Chaque fois que Humboldt s’était retrouvé dans un centre de commerce en Amérique, il avait envoyé des rapports et des doublons de ses collections à son frère, Wilhelm, devenu un philologue renommé, et à des scientifiques français; malheureusement, le blocus continental alors imposé par les navires britanniques empêcha la plus grande partie de son courrier d’atteindre sa destination.