Indépendance judiciaire

Indépendance vis-à-vis de qui?

L’existence et l’adéquation de l’indépendance judiciaire ne deviennent des questions d’intérêt pratique que lorsqu’un tribunal tranche un différend portant sur les intérêts d’un acteur ou d’une institution ayant un pouvoir potentiel ou réel sur le tribunal. D’une manière générale, plus l’acteur dont les intérêts sont en jeu est puissant, plus il est nécessaire de protéger l’indépendance de la cour vis-à-vis de cet acteur. Cependant, si les deux parties au différend sont puissantes, cette symétrie du pouvoir peut fournir une partie ou la totalité de la protection nécessaire.

Les trois scénarios qu’un tribunal peut rencontrer sont les suivants :

  1. litiges entre acteurs privés,
  2. litiges entre acteurs gouvernementaux, et
  3. litiges entre acteurs privés et acteurs gouvernementaux.

Dans le premier scénario, le tribunal doit s’efforcer de rester indépendant des parties, qui peuvent tenter de saper son indépendance par divers moyens, tels que la corruption ou l’intimidation. Dans cette situation, le gouvernement est un ami de l’indépendance judiciaire: on peut s’attendre à ce qu’il défende l’indépendance de la cour des efforts des parties.

Dans le deuxième scénario, les perspectives d’indépendance judiciaire sont à nouveau relativement favorables. Il est demandé à la cour de ne pas faire face à un acteur puissant au nom d’un faible, mais plutôt de choisir son camp entre deux acteurs puissants de manière impartiale. Quel que soit le camp choisi par la cour, il en résultera une dynamique à deux contre un qui devrait fournir à la cour une certaine protection contre les représailles. Le gouvernement ne constitue pas une menace significative pour l’indépendance de la justice dans de tels cas, car il est en guerre contre lui-même.

Dans le troisième scénario, le gouvernement constitue une menace puissante pour l’indépendance judiciaire, mais la menace peut être contrecarrée ou aggravée par le public. Par exemple, si un dirigeant cherche à prolonger son propre mandat de manière illégale, la cour fait face à une menace à son indépendance vis-à-vis du gouvernement, mais sa capacité à résister à cette menace est grandement améliorée dans la mesure où elle peut compter sur le soutien du public si elle se prononce contre le gouvernement. Tant que la cour se range du côté du gouvernement ou du public, son indépendance est protégée. L’un ou l’autre devrait être capable de fournir au tribunal le soutien dont il a besoin pour résister aux attaques de l’autre. Dans d’autres situations, cependant, il peut être demandé à la cour d’adopter une position antagoniste à la fois au gouvernement et au public, comme dans le cas d’une discrimination illégale exercée par le gouvernement à l’encontre d’une minorité impopulaire. Ici, les perspectives d’indépendance judiciaire sont à leur plus bas: le pouvoir judiciaire est appelé à faire preuve d’indépendance vis-à-vis du gouvernement et du public, mais il n’a pas l’aide d’un allié puissant pour résister aux pressions auxquelles il est confronté.

Il existe différents moyens de protéger l’indépendance judiciaire face à de telles menaces. Les stratégies communes consistent notamment à limiter le pouvoir discrétionnaire du gouvernement sur les salaires des juges, à imposer de lourdes restrictions à la destitution des juges, à fixer la compétence minimale que les tribunaux doivent posséder et à exonérer les juges de leur responsabilité personnelle pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions. De façon moins évidente, l’organisation interne d’un pouvoir judiciaire peut également avoir un effet profond sur sa susceptibilité aux influences extérieures. L’organisation du pouvoir judiciaire japonais, par exemple, rend les juges des tribunaux inférieurs très obéissants à une bureaucratie administrative contrôlée par le juge en chef de la Cour suprême du Japon. Une structure organisationnelle décentralisée qui accorde une plus grande autonomie aux juges individuels, en revanche, peut rendre plus difficile pour le gouvernement de s’emparer ou de coopter le pouvoir judiciaire dans son ensemble.

À long terme, cependant, il est difficile, voire impossible, de créer un pouvoir judiciaire parfaitement indépendant, complètement isolé de toute forme d’influence politique et populaire. L’expérience relativement longue de la Cour suprême des États-Unis, par exemple, suggère que même un tribunal hautement indépendant est susceptible à la fois d’être remodelé par les forces politiques et de répondre aux souhaits d’une majorité politique durable. Il est optimiste de penser qu’une poignée de juges, dépourvus du pouvoir de la bourse ou de l’épée, pourraient constamment défier des acteurs et des institutions plus puissants sans jamais subir de conséquences, quelles que soient les protections formelles dont ils pourraient bénéficier. Il y a des limites à ce qui peut être accompli simplement en ajustant les caractéristiques institutionnelles du pouvoir judiciaire ou en adoptant des déclarations solennelles sur l’inviolabilité de l’indépendance judiciaire. En fin de compte, les perspectives d’atteindre un niveau d’indépendance judiciaire, même modéré, dépendront probablement de conditions politiques et historiques qui sont exogènes au pouvoir judiciaire et pourraient bien être hors de portée, telles que l’existence d’une démocratie multipartite stable, compétitive.

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